Le voile est-il culturel ? Que dire des prostituées de Corinthe ?
Si l’étude du contexte culturel s’avère souvent utile, lorsqu’on s’en sert pour contredire un auteur biblique en prétendant que ce qu’il commande pour certaines raisons a en fait une autre explication, différente de celle qu’il nous donne, cela peut devenir dangereux.
R.C. Sprouls dit, “Si Paul avait simplement demandé aux femmes de se couvrir la tête sans aucune explications pour justifier une telle requête, nous aurions pu combler le manque d’informations par notre connaissance du contexte culturel. Cependant, dans ce cas précis, Paul fournit une ample démonstration, et celle-ci se base sur la création, non pas sur les coutumes des prostituées de Corinthe.” 1) R.C Sproul – Knowing Scripture, 1977, ch 5, pg 110. Il poursuit en disant, “Nous devrions veiller à ce que notre zèle pour la connaissance culturelle, ne nous serve pas à obscurcir ce que les textes disent.” 2) R.C Sproul – Knowing Scripture, 1977, ch 5, pg 110.
Dans 1 Corinthiens 11, Paul fait appel à l’ordre créationnel, à la nature et aux anges, autrement dit, à tout ce qui transcende la culture. Il nous dit aussi que le voile fait partie des instructions apostoliques officielles et que c’est partout, la pratique de toutes les églises. Cela veut donc dire que la situation locale de Corinthe n’explique pas la doctrine du voile, qui était d’ailleurs un enseignement standard aussi dispensé ailleurs.
Plus tôt dans la lettre de l’apôtre, lorsque nous avons une instruction qui concerne une situation donnée à un moment donné, il le mentionne. Il recommande par exemple de ne pas se marier “à cause des temps actuels de détresse” (1 Cor 7:26). Paul aurait pu faire de même avec le voile, mais il ne l’a pas fait car ce qui se passait à ce moment là à Corinthe n’était pas la raison de son ordonnance. De plus, le fait qu’il demande aux hommes, dans la même phrase, de se découvrir la tête (1 Cor 11:4) ne peut pas être expliqué par une situation culturelle qui ne concerne que les femmes de Corinthe.
Les 1000 prostituées sacrées
En plus de motifs exégétiques, il y a aussi de bonnes raisons historiques de rejeter l’explication culturelle du voile. La plus grosse référence qui appuie cette position sont les 1000 prostituées sacrées du temple d’Aphrodite à Corinthe.
Avant d’examiner cela, nous avons besoin d’une brève leçon d’histoire sur la cité de Corinthe. Dirk Jongkind (PhD, Cambridge University) a dit “La Cité de Corinthe revenait d’un glorieux passé Hellénique avant sa destruction par les Romains en 146 avant J-C. Quand elle fut reconstruite en 44 après J-C, elle ne fut pas bâtie comme une cité grecque mais comme une colonie romaine.” 3) Dirk Jongkind – Corinth In The First Century AD: The Search For Another Class, Tyndale Bulletin 52.1, page 139 Ainsi la Corinthe grecque avait été détruite, puis refondée 100 ans plus tard mais en tant que colonie romaine.
La principale source qui nous informe de ces prostituées sacrées est le géographe grec Strabo (64/63 Av J-C – 24 Ap J-C). Strabo a beaucoup voyagé, il rapporta ce qu’il vit dans son ouvrage “Geographica”. Voici ce qu’il dit : “Et le temple d’Aphrodite était si riche qu’il possédait plus d’un millier d’esclaves, de courtisanes, qui étaient à la fois des hommes et des femmes dédiés à la déesse.” 4) Strabo – Geographica – Book 8, Chapter 6 Prenez note du temps au passé dans la citation. Strabo écrit cela 30 ans avant la lettre de Paul, et il se réfère non pas au temps présent, mais aux temps anciens du passé de Corinthe. Plus loin il écrit, “La cité des Corinthiens était alors grande et riche“. 5) Strabo – Geographica – Book 8, Chapter 6 Les mots clés sont “était alors”. Par contraste, à l’instant où il écrit, il voit au sommet “un petit temple à Aphrodite” 6) Strabo – Geographica – Book 8, Chapter 6 et non le “temple d’Aphrodite [qui] était si riche qu’il détenait plus de mille esclaves…“. 7) Strabo – Geographica – Book 8, Chapter 6
David W.J. Gill (PhD, University of Oxford) écrit dans “L’importance du portrait romain pour le voile de 1 Corinthiens 11:2-16 ” :
Certains ont compris la nécessité pour les femmes de porter un voile, comme venant d’un souci de Paul pour qu’on ne les confonde pas avec les prostituées ou les hétaïres. Ce point de vue réside en partie avec l’idée fausse qu’on se fait de Corinthe, comme étant une ville obsédée par le sexe avec des prostituées arpentant les rues. Les 1000 hétaïres liées au culte d’Aphrodite, et la notoriété de Corinthe, appartiennent au passé hellénistique de la ville, balayé par Mummius en 146 avant J-C. En revanche, le sanctuaire romain était beaucoup plus modeste… 8) David W. J. Gill – The Importance of Roman Portraiture for Head-Coverings in 1 Corinthians 11:2-16, Tyndale Bulletin 41.2
Dr. Gill atteste la réputation sexuelle sulfureuse de Corinthe et les 1000 prostituées sacrées du temple d’Aphrodite. Cependant cela appartient à la Corinthe grecque qui fut détruite à peu près 200 ans avant que Paul écrive sa première lettre aux Corinthiens.
Une erreur d’identité
L’idée répandue qui va main dans la main avec cette ancienne réputation de Corinthe, c’est qu’une femme se montrant sans être couverte serait prise pour une prostituée. Cependant cette idée est infondée et il y a une bonne raison de suggérer que ce n’était pas le cas. Dr. Gill explique :
Les marbres montrant des portraits publics de femmes à Corinthe, membres présumées des grandes et prestigieuses familles, sont le plus souvent représentées tête découverte. Cela suggère qu’il était socialement acceptable pour une femme dans une colonie romaine, d’être vue tête découverte en public. 9) David W. J. Gill – The Importance of Roman Portraiture for Head-Coverings in 1 Corinthians 11:2-16, Tyndale Bulletin 41.2
Comme il le fait remarquer, il y a une preuve archéologique qui soutient l’idée qu’il était en fait normal pour une femme d’être vue tête découverte. Et ce n’est pas une preuve isolée, c’est ce qui est “le plus souvent représenté”.
Et les hommes ?
Étant donné que Paul commande aussi aux hommes de se découvrir la tête lorsqu’ils prient ou prophétisent (1 Cor 11:4) cela voudrait-il dire qu’il était culturellement indécent pour les hommes d’avoir la tête couverte ? Richard E. Oster, Jr (PhD, Princeton Theological Seminary) écrit dans “Usage, abus et négligence de preuves archéologiques dans certains travaux modernes sur 1 Corinthiens” :
La coutume romaine [d’un voile liturgique pour les hommes] peut être documentée sur plusieurs générations avant et après l’avènement du christianisme à Corinthe. Cette coutume est clairement dépeinte sur les monnaies, les statues et autres monuments historiques autour du bassin méditerranéen. 10) Richard E. Oster, Jr. – Use, Misuse and Neglect of Archaeological Evidence in Some Modern Works on 1 Corinthians
Dr. Oster dit que l’existence d’hommes couvrant leur tête lors de cultes païens est fortement avérée par les preuves archéologiques. Puisque l’instruction de Paul envers les hommes va clairement contre la pratique culturelle courante, une explication culturelle du voile ne peut pas être acceptée.
Dr. Oster conclue ensuite :
… les hommes qui portaient le voile dans le contexte de la prière et de la prophétie était pratique courante dans la piété romaine, pratique généralisée à la fin de la République et au début de l’Empire. Corinthe étant une colonie romaine, cet aspect de la vie religieuse romaine mériterait une plus grande attention de la part des commentateurs bibliques. 11) Richard E. Oster, Jr. – Use, Misuse and Neglect of Archaeological Evidence in Some Modern Works on 1 Corinthians
Conclusion
Paul ne nous laisse pas dans le noir par rapport à la question “pourquoi les femmes doivent se voiler la tête et les hommes se la découvrir”. Le fait qu’il dise “c’est pourquoi… à cause” (1 Cor 11:10) montre bien que la réponse se trouve dans l’exégèse et non dans l’analyse culturelle. Ceci dit, même lorsque nous analysons le contexte culturel de l’époque, nous voyons que : 1) il était parfaitement normal pour les hommes de se couvrir la tête lors de cultes non chrétiens et 2) les femmes pouvaient se montrer sans voile sans que ce soit un outrage ni en lien avec la prostitution. De toute façon, dès lors que les arguments culturels nient les explications de l’apôtre, ils doivent être rejetés.
References